de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 25 juin 2016

223- Peine et réhabilitation



Les sociétés ont toujours eu des codes pour fixer leurs règles de vie commune. L'un des plus anciens codes connus est le code de Gortyne, qui date de 600 ans avant le Christ. Il fixait les droits et devoirs des habitants de cette cité de l'île de Crète, interdisait de se faire justice soi-même, fixait les règles de procédure, établissait les droits des femmes en cas de divorce, prévoyait la garde des enfants, etc. C'était un véritable code civil, taillé dans la pierre.

Code de Gortyne découvert par l'archéologue Federico Halbherr

Code de Gortyne - détail


Les lois n'existent pas pour consacrer des usages admis, mais pour fixer des limites entre ce que la société peut accepter et ce dont elle souhaite se protéger.

La loi fixe la sanction de ceux qui veulent se soustraire à ces règles communes. 

Cette sanction se veut équitable et impartiale, indépendante des conditions sociales ou des soutiens dont pourrait bénéficier tel ou tel. C'est du moins la théorie, puisque la pratique en est souvent éloignée. 

La sanction permet rarement de réparer le préjudice, qui souvent ne peut pas l'être, mais elle apporte une reconnaissance à la victime et permet à l'accusé de réparer sa faute. Il ne s'agit pas de réparation morale ou religieuse, mais sociétale, afin que toutes ces personnes qui vivent ensemble puissent continuer à le faire sans recourir à des solutions guerrières.


Nos sociétés actuelles nous montrent toutes les perversions de ces codes civils. Ainsi, une personne qui dépose plainte verra très souvent cette plainte classée par un procureur qui est simplement surchargé de travail et n'a pas le temps de l'étudier : il y a, à Lyon, 400 000 plaintes déposées par an et très peu sont instruites. 

Ceux qui ont de l'argent pourront aller au bout des procédures, en en déléguant la gestion à leurs avocats, ou les faire durer s'ils sont accusés, pour repousser aux temps eschatologiques le moment où ils devront rendre compte de leurs actes.

Ainsi, Jacques Chirac usera de tous les recours possibles lorsqu'il sera poursuivi pour des emplois fictifs. Il usera de multiples procédures pour faire reconnaître l'impossibilité d'un juge de convoquer un président en exercice. Et lorsque, après vingt ans de procédures, il ne sera condamné qu'à une peine ridicule, il dira : Ça m'en touche une sans faire bouger l'autre !


Les faits reprochés à Nicolas Sarkozy sont bien plus graves que ceux reprochés à Jacques Chirac, ce qui ne l'empêche pas de dormir sur ses deux oreilles, sachant pertinemment que s'il doit en répondre un jour, il pourra sans conteste s'approprier la citation de Jacques Chirac. 


En faisant appel aux meilleurs avocats, l’Église catholique en France a choisi de mettre à profit les failles du système judiciaire, alors qu'elle aurait dû préférer la défense des valeurs de l’Évangile dont elle se dit abusivement la garante. Rejoignant les Chirac et autres Sarkozy, elle s'est placée là où l'argent et le pouvoir permettent d'éviter de rendre compte de ses crimes.

Il s'agit d'une méthode bien indigne car, dans le fond, les justices humaines et divines - pour ce qui est du christianisme - poursuivent un but unique de réhabilitation des personnes. Vouloir leur échapper empêche cette salutaire réhabilitation. 


Les évadés, film hollywoodien avec Morgan Freeman, a très bien décrit la prise de conscience qui conduit à cette réhabilitation. Tout le long du film, les prisonniers qui passent devant la commission chargée d'examiner leur libération conditionnelle se la voient refuser. Il apparaît évident que leurs mots de repentir ne sont dictés que par la volonté de la libération.

Petit à petit, les prisonniers se font même un jeu d'échouer à obtenir la grâce de cette commission, jusqu'à ce très beau discours mis dans la bouche de Morgan Freeman :

Commission d'examen : D'après votre dossier, vous avez fait 40 ans de votre perpétuité. Pensez-vous être réhabilité ?

Ellis Boyd : Réhabilité ? Voyons que je réfléchisse... Je crois que je n'ai aucune idée de ce que ça veut dire ! 

Commission d'examen : Et bien, ça veut dire que vous êtes prêt à retourner dans la société.

Ellis Boyd : Je ne sais pas ce que ça veut dire « être prêt » mon garçon. Pour moi, c'est une simple formule. Un beau discours de politicien pour que des gamins dans votre genre portent des costumes-cravates et ne soient pas au chômage. Que voulez-vous savoir exactement ? Si je regrette ce que j'ai fait ? 

Commission d'examen : Vous regrettez ?

Ellis Boyd : Il n'y a pas un seul jour qui passe sans que j'éprouve des regrets. Ce n'est pas parce que vous me le demandez que je devrais en avoir, mais parce que je repense à l'époque où j'étais dehors. Où j'étais un gamin idiot qui a commis un horrible crime. Je voudrais lui parler. Je voudrais essayer de lui faire entendre raison. Lui expliquer comment sont les choses. Mais je ne peux pas. Ce gosse est mort il y a longtemps. Il ne reste plus que ce vieux bonhomme qui doit vivre avec ça. Réhabilité ? Un mot qui ne veut rien dire. Alors, mon garçon, mettez tous vos tampons sur vos formulaires et ne me faites pas perdre mon temps. Parce que, pour vous dire la vérité, j'en ai rien à foutre.



Ellis Boyd ne pouvait rendre la vie à l'homme qu'il avait tué étant jeune et aucune peine n'aurait pu rendre justice à ses victimes. Mais, par sa peine et sa prise de conscience sincère, la société pouvait le considérer comme apte à vivre à nouveau avec les autres. 

Laisser un crime impuni contribue à déstructurer la société. A fortiori  si le crime commis est grave. Car l'absence de reconnaissance du crime et l'absence de peine induit la perte de confiance dans les valeurs qui fondent notre cohésion.

Malheureusement, nos sociétés sont viciées par la multitude des crimes impunis et par les personnes qui empêchent qu'ils soient punis, rendant ainsi possible qu'ils se perpétuent.

Monseigneur Barbarin est de ces personnes. Après avoir rendu possible que des crimes se perpétuent, il essaye aujourd'hui d'empêcher qu'ils puissent être punis. Indépendamment de toute considération religieuse, en ne regardant que l'esprit du code qui régit notre société pour lui garder sa cohésion, j'espère qu'il échouera. 

J'espère également qu'il ne pourra plus dire avec cynisme, au sortir d'une convocation chez les juges, qu'il remercie chacun de tant de prière et d'amitié, car si nous avons prié, ce n'était pas pour le soutenir, ni pour qu'il sorte libre, mais pour qu'il réponde de ses actes qui contribuent à détruire la Société qui nous unit par-delà nos différences, tout comme ils détruisent son Église.

samedi 18 juin 2016

222- Repentir d'avocat et autres dérives



Caïn fut tourmenté jusque dans la tombe à cause de son crime. Sodome et Gomorrhe furent détruites pour les fautes de ses habitants (Gn. 19). Ainsi, dans l'Ancien Testament, Dieu est celui qui punit jusqu'à la troisième génération, et bénit jusqu'à la millième (Deut. 5, 9-10).
 
L'acte du juste est incomparablement supérieur au crime, mais celui-ci ne peut pas rester impuni. Cette punition peut être le fait de l'action des hommes ou de la main de Dieu, mais elle est inéluctable.
 
Ainsi, dans l’Évangile, les apôtres du Christ lui demandèrent si l'aveugle de naissance était né avec cette tare à cause de ses fautes, ou de celles de ses parents (Jn 9, 2). 

Le Christ est le premier à introduire la notion de pardon gratuit, sans contrepartie aucune. Il définit ce pouvoir comme celui propre à Dieu : Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés : Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit, et va dans ta maison (Matth. 9, 6).

L’Église introduira la notion de repentir comme condition indispensable au pardon. À ceci près que les offices orthodoxes prévoient parfois des prières d'absolution sans acte de repentir particulier de celui qui y participe. C'est notamment le cas pour l'office des vêpres de la Pentecôte (Vêpres de la génuflexion).

Les interactions entre le don gratuit de Dieu, le repentir du pécheur et la blessure causée par la faute commise ne sont pas toujours évidentes et nous y reviendrons dans le prochain message. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est la multitude des faux prétextes qui éloignent du repentir réel, ou l'empêchent.


Le père Placide Deseille, ancien moine cistercien érudit devenu orthodoxe, me disait qu'il est rare d'avoir devant soi un réel repentant, même en confession. Souvent, celui qui se confesse ne cherche que la prière d'absolution finale, et essaye d'éviter de parler de choses trop embarrassantes.

Ainsi, le pénitent évoquera-t-il de petites fautes anodines en omettant ce qui est vraiment important ; il se limitera aux difficultés qu'il rencontre dans sa vie au lieu de s'arrêter sur ce qu'il a fait ; il invoquera davantage les circonstances atténuantes qui l'ont conduites à commettre l'acte condamnable plutôt que celui-ci ; lorsqu'il ne fera pas simplement l'énumération des fautes de ses voisins en lieu et place des siennes... Il ira se confesser parce que le rite auquel il appartient l'impose avant la communion, comme chez les Russes, mais non par un repentir réel.

À d'autres époques, les chrétiens se faisaient baptiser le plus tard possible, pour que le baptême efface un maximum de fautes, de façon mécanique. Nombreux étaient ceux qui attendaient d'être sur leur lit de mort pour cela. Sans parler des indulgences vendues par le pape au Moyen-Âge, destinées à obtenir une rémission des fautes commises.

Pratique qu'on a vu encore tout récemment, puisque le pape François a accordé une indulgence plénière aux abonnés de son compte twitter. Concrètement, le temps que les pécheurs passeront au purgatoire après leur mort sera réduit pour ceux qui auront été abonnés au compte twitter du Vatican... De quoi faire sourire les historiens qui étudieront notre époque.

Daniel Balavoine dénonça cette attitude lorsqu'il chanta : Alors je serai vieux et je pourrai crever ; je me chercherai un Dieu pour tout me pardonner.

Toutes ces fausses repentances, ou repentances de circonstances, induisent pourtant une démarche personnelle qui peut éventuellement conduire à une introspection salutaire. Ainsi, celui qui ne parlera que de ses petites fautes en viendra peut-être à parler de ce qui lui pèse vraiment sur la conscience, etc. Mais le pire de tous les faux repentirs est le repentir d'avocat, car il éloigne de la manifestation de la vérité et empêche l'homme de regarder ses fautes en face pour s'en délivrer.


Une affaire a marqué l'actualité, celle de Duch, l'enseignant révolutionnaire converti au catholicisme. Kang Kek Ieu, alias Duch, était le chef du camp d'extermination des Khmer Rouges S21. Officiellement, 12272 personnes moururent sous son commandement et lui-même fut de la plus grande cruauté. Mais il lui est reproché la mort de plus de 40000 personnes ainsi que d'innombrables tortures. Un très bon résumé de l'affaire est disponible ici.

Lorsque le photographe anglais Nic Dunlop reconnaît Duch, celui-ci vit sous les traits d'un paisible paysan, dans un village cambodgien. Hanté par ses crimes, et alors que le bouddhisme lui promet un karma qui sera le reflet de sa vie, il préfère opter pour le catholicisme, qui l'absout de toutes ses fautes moyennant la récitation de 3 je vous salue Marie et 1 notre père (pénitence non-exhaustive...), oubliant au gré d'un signe de croix le regard des malheureux qu'il exécuta.

Une véritable conversion aurait conduit Duch à regarder ses crimes en face. Non pour réparer ce qui ne pouvait pas l'être, mais pour manifester la sincérité de son repentir et pouvoir s'incliner devant ses victimes ou leurs familles. Une personne qui dit craindre Dieu et son juste courroux ne saurait fuir la réalité des actes qu'il a conscience d'avoir commis, ni la condamnation qu'elle mérite.

L'exemple nous est montré par le larron sur la croix qui dit à son compère : Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes ; mais celui-ci n'a rien fait de mal (Lc 23, 40-41).

Pourtant, après avoir reconnu son identité réelle devant Nic Dunlop, Duch reviendra sur ses déclarations sur les conseils de son avocat. Il niera certains des faits qui lui seront reprochés, minimisera son implication, tentera de se dédouaner, et demandera même à ce que les Cambodgiens soient condamnés pour son arrestation et sa détention qu'il jugera non conforme aux principes des droits de l'homme.

Par le choix même de ce type de défense, ses avocats ne purent empêcher qu'il soit condamné à la prison à perpétuité ; ils ne mirent que mieux en évidence, au contraire, le côté dérisoire de cette conversion, par laquelle le converti ne reconnaissait ses fautes que de manière indirecte, et à condition qu'on ne lui en demande pas de comptes. En ceci, le rôle d'un avocat n'est pas compatible avec le repentir tel que la spiritualité chrétienne le conçoit. Il ne permet pas même, bien souvent, de fuir la justice des hommes, et rend indigne du pardon de Dieu qui fut accordé au larron sur la croix (Lc 23, 43).


Nous assistons aux mêmes mécanismes de défense humaine dans l'affaire du père Preynat. Le cardinal Barbarin a rapporté que le père Preynat avait en horreur les actes qu'il avait commis, mais ce dernier fait tout pour faire valoir la prescription de ses actes et ne pas avoir à en répondre devant la justice. Et lorsqu'il sera devant un juge, il tentera de faire valoir ses propres faiblesses, de minimiser ce qu'il a fait, de faire ressortir la responsabilité de ses supérieurs, sans affronter le regard de ses victimes et la gravité de ses crimes. Autant de signes qui manifestent l'absence de repentir tel que le christianisme le conçoit.


Il y a quelques jours, certains prêtres catholiques écrivirent aux victimes du père Preynat. Passons leur courage relatif traduit par leur lettre qui resta anonyme et regardons son contenu. Ils relèvent les multiples positions des chrétiens devant cette affaire et concluent : Face à ces positions aussi tranchées, la ligne de sagesse semble bien être celle adoptée par le Pape (qui n’a pas forcément la valeur d’un soutien, comme on a pu le faire croire) : s’en remettre à la justice qui examinera les faits et responsabilités du passé, pour porter un jugement de manière objective, neutre et dépassionnée.

Bien qu'ils soulignent dans la suite de leur lettre certaines interrogations légitimes à de telles procédures, ces prêtres occultent le point essentiel : ces procédures n'existent pas, aux yeux du clergé qui en fait l'apologie, pour manifester la vérité, mais pour tenter de fuir cette vérité qu'ils craignent et refusent d'affronter. Y compris pour le pape qu'ils prennent en référence.

Si le clergé ne craignait pas la vérité, il aurait soutenu les victimes depuis la première heure, les aurait indemnisées pour leur préjudice et aurait chassé de ses rangs les prêtres indignes qui gangrènent son institution. Mais, au lieu de cela, il utilise la justice comme ultime moyen de tenter de fuir ses responsabilités.

Loin d'être une ligne de sagesse, l'attitude du pape de Rome relève d'une grande indignité. 

Le pape accepterait-il que les chrétiens auxquels il s'adresse lorsqu'il condamne l'avortement lui répondent : Pourquoi condamnez-vous de tels actes ? Si vous n'êtes pas d'accord, portez plainte, et la justice tranchera sereinement sur ce que vous estimez être une faute. Pourquoi le pape condamne-t-il les divorcés, alors que ceux-ci n'enfreignent aucune loi ? Le pape a-t-il saisi les tribunaux avant de jeter ses anathèmes ?

Le problème est que, même au niveau du pape, le discours institutionnel est pétri d'hypocrisie. Il refuse de reconnaître aux lois des pays dans lesquels se trouvent les catholiques un caractère supérieur à celui des règles qu'il édicte. Mais lorsqu'il est lui-même mis devant ses crimes ou ceux de ses prêtres, alors, d'un coup, la justice humaine qu'il a tant décriée par ailleurs devient une planche de salut. Non pas de Salut au sens eschatologique du terme, qui ne l'intéresse pas outre mesure, mais comme moyen d'étouffer, une fois de plus, la Vérité qui se dresse devant lui et qu'il n'ose regarder.

Le jour où il osera regarder cette vérité et l'assumer, il ne se souciera plus de confier sa défense aux meilleurs avocats, mais adoptera l'attitude du larron sur la croix. Ce jour-là, il pourra aussi s'entendre dire que les portes du Paradis lui seront ouvertes. Mais ce jour n'est pas arrivé.

samedi 11 juin 2016

221- Repentir institutionnel



L'Église en général, et celle de Rome en particulier, revendique d'être guidée par le Christ depuis le jour de son ascension jusqu'à la fin du monde : Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde (Matth. 28, 20).

L’Église aime s’approprier ce dont elle n'est que la garante. Ainsi, nombreux seront les commentateurs qui appliqueront cette parole du Christ, non à chacun des disciples pris individuellement, mais à l’Église sous sa forme institutionnelle. Église institutionnelle qui n'existait pas au moment où ces paroles furent prononcées.

Le pape de Rome fonde son infaillibilité sur la parole du Christ disant à Pierre qu'il a prié pour que sa foi ne défaille pas (Lc 22, 32). Pierre en vint à renier le Christ malgré cette prière. La prière dont les hommes bénéficient est un soutien, mais elle ne saurait en aucune manière se soustraire à leur liberté de choisir entre le bien et le mal.

Nous avons ici deux situations dans lesquelles le Christ annonce clairement l'assistance qu'il porte aux hommes. L'une de ces paroles sera déformée et conduira au dogme de l'infaillibilité du pape. L'autre ne bénéficiera pas du même traitement, ce qui permettra aux papes de conclure que l’Église, guidée par le Christ jusqu'à la fin du monde, est faillible.

Ainsi, Jean-Paul II demandera pardon pour les fautes de l’Église lors de son discours du 12 mars 2000.

De nombreux journaux affirmèrent que Benoît XVI avait également demandé pardon pour les fautes de l’Église lors de son discours du 11 juin 2010. Mais les mots étaient tournés de telle manière que l'on pense à un acte de contrition, sans réellement l'évoquer. Un langage juridique plus que pastoral.

Je ne suis pas ici pour ôter leurs dernières illusions à ceux qui veulent encore croire désespérément que le pape serait infaillible, ou qui voudraient préserver la blancheur immaculée de l’Église institutionnelle. Ce qui m'intéresse est le rapport de l’Église à la victime et celui qui la lie au bourreau.


L’Église est le mot grec pour désigner la Communauté. Tout comme le mot Synagogue, utilisé par les Hébreux.

Si la Communauté est prise dans son sens de personne morale, la faute commise par cette Communauté ne pourra être traitée de la même manière si elle blesse l'un de ses membres, ou quelqu'un qui lui est étranger.

La Communauté - quelle qu'elle soit - peut se repentir collectivement pour un mal commis envers un étranger. Mais elle ne peut pas le faire pour l'un de ses membres.

Si la Communauté se repend du mal commis envers l'un de ses membres, cela revient à considérer que le membre se demande pardon à lui-même pour cette faute qu'il a dû subir, puisque la victime est une part indivise de la personne morale repentante.

Ce point est encore plus vrai lorsque l'on parle de l’Église, que saint Paul considère comme un corps mystique unique au sein duquel chacun remplit une fonction, tels les différents membres d'un corps physique.


Les excuses plus ou moins sincères des évêques envers les victimes des prêtres pédophiles - pour ne citer qu'elles - n'ont aucun sens au regard de la spiritualité chrétienne. Un membre d'un corps ne peut pas demander pardon à un autre membre du même corps pour le mal qu'il subit.

De telles excuses reviennent à considérer que la victime ne fait pas partie de ce corps. Ainsi, lorsque monseigneur Barbarin, ou le pape de Rome, demandent pardon aux victimes, ils les excluent de fait de l'appartenance à ce corps.

Pire. Ils estiment qu'ils sont un avec le pervers au nom duquel ils demandent pardon, mais pas avec la victime.


Si la prise de conscience était sincère et réellement fondée sur le principe de l’Église, corps mystique du Christ, alors le clergé devrait sentir la douleur de la victime, comme étant la sienne propre. Comme Marie, Mère de Dieu, sentit la douleur du Christ sur la croix qui lui transperçait l'âme.

Alors, c'est le bourreau qui ne sera plus perçu par ce corps mystique comme étant l'un de ses membres, mais comme une maladie qu'il faut éradiquer. Le corps, uni à la victime de manière indivisible, s'attachera à guérir en faisant disparaître la maladie. Il consultera les meilleurs médecins et tranchera la cause de sa gangrène, suivant cette parole du Christ : Il est avantageux pour toi qu'un seul de tes membres périsse, et que ton corps entier ne soit pas jeté dans la géhenne.

Aujourd'hui, malheureusement, le clergé catholique fait partie de la maladie. Il la protège, l'entretient et la fait croître. Ainsi, ce n'est pas la victime qu'il coupe de l'appartenance au corps mystique du Christ, mais lui-même. En s'associant à la maladie pour la protéger dans son œuvre de destruction du corps, il se rend indigne de cette appartenance et devient celui pour qui cette parole du Christ est destinée : En vérité, je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité.


Le saint abbé Pierre disait, au sujet des membres du clergé de son Église, qu'ils feraient mieux de plus faire l'amour et de moins le prêcher, s'ils voulaient éviter de continuer à être déconnectés de la réalité, révélant que lui-même avait eu des relations sexuelles en diverses occasions. 

Il touchait là du doigt l'inadéquation totale entre les mots du clergé catholique et ses actes. Actes qui conduisent à révoquer sans délai un prêtre qui vit avec une femme, mais à maintenir dans la prêtrise des pervers de toutes sortes.

Dans sa lettre apostolique motu proprio du 4 juin 2016, intitulée Comme une mère aimante, le pape François rappelle que l'Église catholique aime tous ses fils, mais soigne et protège avec une affection toute particulière les plus faibles et les sans défense. C'est pourquoi, ajoute le pape, ses pasteurs, et notamment ses évêques, doivent faire preuve d'une particulière diligence dans la protection des plus faibles parmi les personnes qui lui sont confiées. Le seul problème étant que le pape ne sait pas ce que fait une mère à celui qui attaque ses enfants. Il n'a de l'amour maternel qu'une vision simpliste et édulcorée déconnectée de la réalité.

S'ils connaissaient l'amour autrement que par la description donnée dans les livres de leurs études au séminaire, les membres du clergé sauraient ce qu'est l'amour d'une mère qui protège ses enfants. Ils sauraient ce que fait une mère lorsque son petit est attaqué. Ce n'est alors plus le pervers qu'ils protégeraient en cherchant à étouffer les victimes sous une chape de silence. La victime serait défendue envers et contre tout, quoi qu'il en coûte, et elle saurait qu'elle fait vraiment partie du corps mystique qu'est l’Église. Et le bourreau saurait aussi que le temps de l'impunité est terminé pour lui. 

Mais ce temps n'est pas arrivé et les bourreaux ont encore de beaux jours devant eux, jouissant du soutien indéfectible des institutions qui leur garantissent l'impunité.