de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 4 juillet 2015

174- Église russe hors-frontières



Après l’effondrement de la monarchie, l’Église russe continua dans un premier temps à jouir à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie de ses anciens droits. Mais ce temps fut de courte durée. Bientôt commencèrent les persécutions. Le gouvernement communiste, rapidement arrivé au pouvoir, se fixa comme but d’anéantir toute religion qui n’est, selon l’enseignement marxiste, que préjugés et superstitions. Les coups les plus durs furent dirigés contre l’Église orthodoxe, à laquelle appartenait l’écrasante majorité du peuple russe et qui l’avait inspiré au cours des siècles depuis son baptême. On commença à fermer les églises, à persécuter et à tuer le clergé, puis à lutter systématiquement contre l’Église afin de l’anéantir. 

Prévoyant que le pouvoir suprême de l’Église russe pourrait être privé de liberté et que certaines parties de l’Église russe se trouveraient dans l’incapacité d’entrer en contact avec lui, celui qui était alors son chef, le patriarche Tikhone, ordonna de constituer des administrations ecclésiastiques provisoires, placées sous l’autorité du plus ancien des hiérarques. À ce moment-là, des administrations ecclésiastiques avaient déjà été créées dans les territoires qui, pendant la guerre civile à l’intérieur même de la Russie, n’avaient plus de contact avec Moscou (comme dans le sud de la Russie et en Sibérie). Avec le Grand Exode des Russes quittant leur patrie après la défaite des troupes qui luttaient contre le pouvoir communiste, l’Administration ecclésiastique suprême du Sud de la Russie, présidée par le métropolite Antoine, connu dans tout le monde orthodoxe, se retrouva aussi à l’étranger. 


Arrivés à Constantinople, les hiérarques ont immédiatement demandé au locum tenens du Siège œcuménique, le métropolite Dorothée de bienheureuse mémoire, de les autoriser à continuer de veiller sur le troupeau de leurs fidèles russes. L’autorisation leur a été donnée par un acte du 29 décembre 1920.

L'histoire de l’Église russe hors-frontières est racontée en détail ici.


À Lyon, une paroisse russe hors-frontières fut créée avant la seconde guerre mondiale, en 1928. C'était initialement une grande baraque en bois, rue Baraban, qui fut détruite par un incendie, peut-être criminel, sous le Front populaire, en 1937. C'est alors que les Russes bâtirent l'église saint Nicolas que nous connaissons, au 23 petite rue de la Viabert, consacrée en 1946. Son recteur, dans les années quatre-vingts, fut le père Igor Doulgoff. Il était secondé par le diacre Germain Ivanoff-Trinadtzaty. Le père Igor, laissant sa place au père Quentin de Castelbajac en 1994, fut consacré évêque sous le nom de Séraphim et mourut au monastère de Lesna le 24 novembre 2003.

Étant enfant, ma mère nous emmenait souvent dans cette paroisse, où l'accueil était chaleureux et fraternel. Le père Igor portait une attention particulière aux enfants. 

Passant des offices grecs aux offices russes, et inversement, j'ai compris la multiplicité des traditions qui pouvaient coexister au sein de l'orthodoxie : la préparation à la communion, embrasser ou non le calice, les chants modaux ou polyphoniques, la place de la langue utilisée dans l'office... Mais c'est là également que je vis qu'au-delà des divergences de coutumes entre les Russes et les Grecs, tout nous unissait : les offices étaient les mêmes, tout comme les valeurs de l’Évangile, les références aux Pères, la quête de l'homme et la foi qui anime chacun. 


Lorsque la répression communiste contre la religion cessa, et que l’Église retrouva un fonctionnement plus apaisé, trois points de contentieux cristallisèrent les tensions entre le patriarcat de Moscou et les Hors-Frontières, représentés par le métropolite Laure :
- la reconnaissance et la glorification des nouveaux martyrs russes ;
- la relation de l’État avec l’Église, avec ce problème que les Hors-Frontières appelaient le sergianisme ;
- l’œcuménisme. Quelle devait être la position de l’Église orthodoxe vis à vis d'institutions telles le Conseil Mondial des Églises, l’Église catholique, etc., et donc quid de la reconnaissance réelle du statut canonique de chaque structure ?

Le terme sergianisme vient du nom du métropolite Serge Stragorodsky, qui fut nommé « métropolite de Moscou et de Kolomna » par le petit groupe d'évêques qui le suivaient le 27 avril 1934, puis patriarche de Moscou et de toutes les Russies le 12 septembre 1943. Il signa un accord avec l’État soviétique, considéré par les Hors-Frontières, dans son texte tout autant que dans ses conséquences - en 1940, il ne restait plus que quatre évêques diocésains en liberté ! - comme une compromission très grave de l’Église.

En application de ce texte, les personnes que l’État persécutait, fût-ce pour leur foi, n'étaient jamais considérées comme des martyrs de la Vérité, mais comme des ennemis de la Nation. Une citation de cette fameuse déclaration : Nous exprimons tout haut notre reconnaissance au gouvernement soviétique pour son attention aux besoins spirituels du peuple orthodoxe !

En acceptant un tel double langage, le métropolite Serge tentait de protéger son institution, mais condamnait de facto ses fidèles, qui se voyaient ainsi persécutés par l’État et rejetés par l’Église.

La hiérarchie religieuse permit en outre à des agents de l’État d'intégrer le clergé. Si bien qu'une personne qui se confessait ne savait pas si elle effaçait ses fautes devant Dieu en les énumérant, ou si elle contribuait à les écrire de manière indélébile dans les registres du KGB.
 
Les Hors-Frontières et le patriarcat de Moscou étaient également confrontés à la réalité de leurs situations respectives, car il y avait de nombreuses méfiances réciproques. Du côté des Hors-Frontières, l'infiltration de l’État dans les structures de l’Église était sujet d'inquiétude. Mais du côté de Moscou, il y avait également la crainte d'une dérive sectaire des Hors-Frontières. Les condamnations, parfois extrêmes, du patriarcat de Moscou, n'étaient pas pour arranger la situation.

Les problèmes prirent plus d'ampleur lorsque fut posée la question de la Grâce. Car si l'on considère que l'autre est dans l'erreur, la Grâce de Dieu peut-elle agir en lui ? Si elle n'agit pas, la condamnation de l'autre devient légitime aux yeux de celui qui condamne, puisque Dieu lui-même a abandonné ces égarés. Et s'ils sont abandonnés de Dieu lui-même, quel pas pouvons-nous faire pour nous réconcilier, sans compromission avec la Vérité ?

Pour régler ces problèmes, il y eut d'abord des contacts, personnels dans un premier temps. Le métropolite Laure voyagea en Russie, incognito, pour voir comment était l’Église là-bas. Il visita des monastères, rencontra des évêques, etc. Depuis la pérestroïka, les Hors-Frontières avaient appris beaucoup de choses sur la situation réelle de l’Église russe sous le communisme. Choses qui n'étaient pas connues durant leurs années d'exil. Cela les invitait à reconsidérer certains a priori qu'ils avaient à son égard, et à approfondir cet apprentissage.

Puis il y eut un processus de dialogue, où les Églises créèrent des commissions mixtes pour travailler sur ces questions.

De son côté, le patriarcat de Moscou se plongea dans une profonde introspection. Il étudia tous ces problèmes, celui de la relation de l’Église avec le pouvoir politique, celui de œcuménisme, ainsi que bien d'autres questions de société (euthanasie, travail, propriété...) entre 1997 et 2000. Le 15 août 2000, à l'issue d'un processus de validation collégiale, le patriarcat réunit un concile épiscopal qui valida le travail réalisé et promulgua le texte comme document officiel de l’Église.

Le président Poutine s'appuie aujourd'hui sur ce texte comme le fondement de valeurs communes capables de fédérer la société russe. L'ensemble des travaux est repris dans le livre Église orthodoxe russe - les fondements de la doctrine sociale, paru aux éditions du Cerf Istina, Paris, 2007, reproduit ici.
 

De son côté, l’Église russe hors-frontières se réunit en concile à San Franscisco, le 6 mai 2006. Il y eut des délégués du monde entier. Le père Quentin faisait partie de la délégation occidentale. Toutes les questions relatives au rapprochement avec Moscou furent abordées durant une semaine. Les commissions mixtes n'avaient pas encore terminé leurs travaux, personne ne savait si un accord serait possible, mais tout le monde accepta la poursuite de ce rapprochement entre frères, et de faire confiance en l'épiscopat pour étudier ces questions. Il fut décidé d'aller de l'avant en poursuivant le travail entamé.

D'autres Églises, comme celle de Serbie, contribuèrent à ce processus de rapprochement, y apportant notamment un regard spirituel. Le patriarche Paul dit alors à un membre du clergé Hors-Frontière : Faites attention à ne pas vous retrouver dans la situation du fils aîné envers son frère, dans la parabole du fils prodigue. Fils aîné qui, dans un premier temps, rejeta le retour de son frère repenti, avant que son père ne le reprenne. Les Hors-Frontières n'avaient pas collaboré à l'étranger, ni avec la classe soviétique, mais se devaient de ne pas rejeter leurs frères de Moscou dans cette réconciliation historique.

À l'issue de ce dialogue, qui clarifiait ce qui devait être par principe l'attitude de l’Église envers l’État et envers les institutions à caractère œcuméniste, cette réunification put s'opérer sous la forme suivante : les Hors-Frontières allaient garder leurs paroisses et leur hiérarchie, mais formeraient dorénavant, avec le reste du patriarcat de Moscou, une seule église. Tous les nouveaux martyrs russes du communisme furent reconnus et sont désormais fêtés au calendrier des saints le dimanche le plus proche du 25 janvier.


Cet accord fut officialisé le 17 mai 2007, par une grande concélébration de la liturgie à Moscou entre le patriarche Alexis et le métropolite Laure, le jour de l'Ascension, en présence des Églises du monde entier. Le métropolite Laure mourut le 16 mars 2008 après avoir accompli son œuvre de réunification.




Une partie des Hors-Frontières n'accepta pas les conclusions de ce concile de San Francisco. Ils se séparèrent en 2007. Bien que très minoritaires, ils considéraient que l’Église du patriarcat de Moscou n'était pas l’Église. Elle avait perdu sa légitimité par ses compromissions et ne pouvait pas la retrouver. L'accord avec Moscou revenait à accepter de se faire manger. Il revenait à compromettre la Vérité.

Cette position intransigeante était contestée par ceux qui acceptaient l'accord. Eux voyaient l'intransigeance comme le fruit d'une méconnaissance totale de la réalité ecclésiale telle qu'elle pouvait être vécue en Russie. Ils considéraient qu'il est toujours possible de voir ce qui est choquant et scandaleux quelque part, et de se focaliser dessus, mais que l'esprit du christianisme tend vers la paix et l'union.

La paroisse Saint Nicolas de Lyon fut frappée par cette divergence. Réunie en assemblée générale le 9 juin 2002, suite à l'élection du métropolite Laure, que tous savaient favorable à un rapprochement avec Moscou, la paroisse se scinda en deux. Une partie, qui avait pu obtenir une majorité de votes et garder ainsi l'église, suivit le protodiacre Germain dans son opposition au synode des Évêques de l’Église russe hors-frontières. Ils se rattachèrent successivement à différents groupes d'évêques dissidents, et dépendent actuellement de celui du métropolite Agafangel.

Le père Quentin décida, avec la bénédiction du synode, de continuer son travail pastoral à Lyon, et quitta l'église Saint Nicolas où il célébrait, avec les paroissiens qui voulaient rester fidèles au synode, pour fonder la paroisse de Saint Jean le Russe. Le hasard voulut qu'il trouve des locaux disponibles dans la même rue. Aujourd'hui, les locaux sont devenus trop petits, et il espère pouvoir bientôt déménager dans une église plus grande.

Bien qu'ayant chacun leurs paroisses, les Russes du patriarcat de Moscou, rattachés au diocèse de Chersonèse, et les Hors-Frontières, se réunissent parfois, à Lyon, pour fêter Pâques ensemble.


Le point primordial qui permit la réunification de ces deux Églises fut, à mes yeux, l'acceptation, par leurs plus hautes autorités, de leurs erreurs. Cette acceptation, suivie d'une condamnation de ces mêmes erreurs, permit de les dépasser.

En ceci, une réunification avec l’Église catholique serait plus compliquée, car il faudrait que quelqu'un qui se dit infaillible accepte l'idée qu'il ait pu ne pas l'être. Pourtant, et bien qu'il soit plus difficile d'effacer 1000 ans de divisions que 70, cette remise en question est la seule voie qui pourrait un jour permettre d'être unis à nouveau.

À un plus modeste niveau, les divisions qui frappent la Communauté hellénique de Lyon ne trouveront jamais de solution sans que le métropolite Emmanuel Adamakis n'accepte de se remettre en cause. Son silence coupable, nouvelle forme de compromission de l’Église avec la Vérité,  permet que de multiples injustices soient commises. Et, s'il serait profitable à tous que la situation se pacifie à Lyon, l'obstacle le plus important reste l'enfermement dans lequel s'est placé lui-même le métropolite.

Il serait bon qu'il s'inspire de la sagesse qu'eut en son temps le patriarche de Moscou, s'il veut un jour briser les barrières de son indignité. À moins que sa hiérarchie ne se rende compte qu'il n'y a plus d'union possible en sa présence, et ne choisisse de l'écarter pour permettre à un hiérarque qui en aurait les compétences de pouvoir œuvrer à cette paix à laquelle nous aspirons.

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