de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

dimanche 16 novembre 2014

142- Hors de l'Eglise, point de salut

Salus extra ecclesiam non est. Cette phrase, de saint Cyprien de Carthage, représente la position de l’Église catholique et, dans une moindre mesure, celle de l’Église orthodoxe. Je parle de l’Église orthodoxe avec plus de nuance que pour les catholiques, car ce genre de positionnement n'y est pas dogmatisé. Il y a, chez les orthodoxes, des courants de pensées sur ce genre de sujets théologiques ou métaphysiques, mais pas de dogme. Je n'ai donc pas vocation, ni ici, ni dans d'autres messages, à présenter ce qui serait la pensée unique de l’Église, mais uniquement des éléments de réflexion permettant de mettre en relief telle ou telle pensée. Ici, il s'agira donc d'aborder les implications de ce dicton : Hors de l’Église, point de salut, ou encore : Celui-là ne peut avoir Dieu pour Père qui n'a pas l’Église pour mère (Cyprien de Carthage, L'unité de l’Église catholique, Rome 1975, p. 25, 6-7)

Cette position découle, à la base, du conflit entre les premiers chrétiens sur l'importance de la foi et des œuvres.  Jacques l'apôtre disait : Toi, tu as la foi ; et moi, j'ai les œuvres. Montre-moi ta foi sans les œuvres, et moi, je te montrerai la foi par mes œuvres (Jac. 2, 18).  Ce qui s'opposait à Paul qui disait : C'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu (Eph. 2, 8).

Les deux ont fini par se réconcilier, en estimant que la foi et les œuvres ont la même importance. Une manière de ne pas donner de vainqueur à la première guerre froide de l'Histoire pour que le conflit ne renaisse pas de ses cendres. Si le Christ est le chemin, la vérité et la vie (Jn 14, 6), une foi droite est un moyen de rester sur ce chemin qui conduit à la vie. Et les œuvres que nous réalisons, bien que nous restions assujettis à de multiples faiblesses, nous font tendre vers la purification, plutôt que de nous en éloigner.

Malheureusement, certains aiment bien ressusciter les guerres froides et s'attribuer une victoire qui ne semblait devoir rien apporter à personne. C'est ainsi que ce vieux conflit revint sous la forme de cette affirmation : Hors de l’Église, point de salut, faisant renaître sous une autre forme le concept de la foi seule qui sauve.

La première chose à remarquer est que l’Église n'a pas toujours existé. Et les théologiens ne sont pas d'accord entre eux sur ce qui aurait pu être l'acte fondateur de l’Église. Serait-ce la foi dans le Christ ? Ou bien le baptême ? Ou bien la participation à la communion ? Ou la venue de l'Esprit le jour de la Pentecôte ? Ou encore la continuité de la circoncision ? Ou simplement une vie juste ? Mais alors sous quels critères ?

Il a bien fallu, pour les défenseurs de cette conception, se poser la question du sort des hommes qui n'ont pas connu le Christ, ou qui, s'ils l'ont connu, n'ont pas adhéré à son enseignement, ou du moins n'y ont pas adhéré officiellement. Le bon larron, crucifié en même temps que le Christ à cause de ses crimes, n'était pas baptisé et n'avait pas réellement mis en pratique ses commandements, mais le Christ annonce qu'il sera au Paradis le jour même (Lc 23, 43). Abraham n'était pas membre de l’Église, et pourtant personne ne lui retire le droit de jouir de la béatitude éternelle. Noé n'était pas descendant d'Abraham et n'était pas circoncis, et il est néanmoins considéré comme un fidèle serviteur de Dieu. De même que pour Abel, fils d'Adam. Il serait ainsi possible de se poser la question du sort de millions d'êtres qui, s'ils ne sont pas mentionnés dans l'histoire du peuple élu, et plus généralement dans l'histoire du salut, sont susceptibles de se lever avec les habitants de Ninive (Lc 11, 32), au milieu des justes, au jour du Jugement. 

Très vite confrontés aux limites de l'exclusivité qu'ils revendiquaient, les tenants de la doctrine de Cyprien se devaient d'expliquer ce qu'il en est de toutes ces personnes qui ont précédé l'existence des repères du christianisme. Ils en ont conclu que, même si les justes de l'Ancien Testament ne le savaient pas, c'est par le Christ que tout homme est sauvé, et qu'ils le seront aussi. C'est ce que l'on appelle avec humour la théologie de la récupération.

Cette conception n'était pas fausse en soi, car c'est bien Dieu qui œuvre au salut des hommes, et le Christ est Dieu, Fils de Dieu, donc c'est le Christ qui sauve. Et le Christ dit lui-même : Nul ne vient au Père, que par moi (Jn 14, 6). Mais  elle était tout de même très limitée, car faisant abstraction de nombreux éléments complémentaires à cette parole.

Ceux qui adhéraient à ce concept préfiguraient l'idéologie dont les mormons allaient user des siècles plus tard. Ces derniers considèrent en effet qu'ils seront seuls à être sauvés et, pour sauver leurs ancêtres, recherchent qui ils étaient et les baptisent, même des siècles après leur mort. C'est d'ailleurs de là que vient la spécialité des mormons pour la généalogie. Même si divers groupuscules chrétiens ont pratiqué cette forme de baptême post-mortem aux débuts du christianisme, elle a été condamnée au IVème siècle.

La conception de Cyprien de Carthage est légèrement différente, car il ne lui est pas venu à l'idée de procéder au baptême d'Abraham à titre posthume pour s'assurer qu'il serait bien sauvé. Cyprien reprend la conception de Justin de Rome sur les semences de vérité déposées par Dieu dans le monde entier. Semences que les hommes peuvent faire fructifier par une vie juste. Vie juste qui conduit à la connaissance de ce qu'est Dieu, et au salut.

Et c'est là que les choses se compliquent. Car ces semences de vérité, qui étaient actives jusqu'à la venue du Christ, avaient-elles cessé d'agir depuis son incarnation ? Pouvaient-elles agir en dehors de l’Église ?

Un homme juste ayant vécu avant le Christ pourrait être sauvé, mais un homme juste né après le Christ ne le pourrait plus s'il ne fait pas partie de l’Église ? Cela reviendrait à considérer que le Christ n'est pas venu dans le monde pour apporter le salut, mais pour l'enlever à ceux qui auraient été sauvés s'il n'était pas venu. 

Cette conception se fonde sur une vision administrative des choses. Il faudrait, dans cette perspective, entrer dans les bonnes cases, appartenir au groupe de ceux qui ont décidé qu'ils étaient dépositaires du monopole du salut, pour pouvoir être sauvé. 

A l'opposé de cette vision, promue par des hommes de pouvoir plus que de foi, les textes saints nous montrent qu'il y a mille chemins pour s'éloigner de Dieu, et mille autres pour s'en approcher. L'histoire du salut n'a jamais cessé de s'écrire depuis le jour où Adam décida de connaître le bien et le mal. C'est ainsi que les Grecs ou les Roumains ont peint, sur les fresques de leurs églises, les philosophes de l'antiquité. C'est pour cela qu'Abel, Noé et bien d'autres sont considérés comme dignes du Paradis. Pour cela encore que les anges de Dieu, en annonçant la naissance du Christ, apportent la paix aux hommes de bonne volonté (Lc. 2, 14). Pour cela que le Christ s'est adressé aux Samaritains (Jn 4, 4-42), aux Grecs et à toutes les nations.

Origène considérait que Dieu ne cesserait jamais d’œuvrer au salut de toute créature, même par delà la mort et dans l'éternité. Si sa conception de l'apocatastase, qui impliquait le salut de tout être, quoi qu'il ait pu faire, a été condamnée par le Vème concile œcuménique, en 553, au motif que cela revenait à imposer le salut, et donc à priver les hommes de leur liberté, on peut néanmoins retenir de cette théorie que Dieu agit sans relâche pour orienter les cœurs vers le bien et les convertir.

C'est pour cela que dans l'office de la réception dans l'orthodoxie, le prêtre prie ainsi : Béni soit Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. On peut comprendre la phrase comme disant que Dieu est béni en tous temps, lui qui veut que tous les hommes soient sauvés. Mais plus sûrement comme affirmant que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, maintenant et au-delà des siècles.

Lorsque saint Antoine le Grand crut qu'il était parfait, Dieu lui dit qu'il y avait un homme qui était plus grand que lui. Il fut envoyé vers un cordonnier d'Alexandrie, homme marié. En le rencontrant, Antoine ne vit rien d'extraordinaire à sa vie. Il le pria alors et lui dit : C'est le Seigneur qui m'a envoyé pour voir comment tu vis. L'humble artisan, qui vénérait Antoine, lui confia alors le secret de son âme : je ne fais rien de spécial ; seulement, en travaillant, je regarde les passants, et je songe : " Tous ceux-ci seront sauvés, moi seul je périrai " (Archimandrite Sophrony, Starets Silouane, moine du Mont-Athos, éd. Présence, Paris, 1973, p. 203).

Je n'aime pas la notion de peuple élu. Le Christ s'en est éloigné lorsqu'il dit : Quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère (Matth. 12, 50). Ou encore : Celui à qui il a été beaucoup donné, il sera beaucoup demandé, et celui à qui il a été peu donné, il sera peu demandé (Lc. 12, 48). Il n'y a de monopole offert à personne, pas même à celui qui reçoit beaucoup, mais une simple responsabilité plus grande, pour lui, et dont il aura à rendre compte.

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