de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

mercredi 7 mars 2012

30- Corps, cœur et esprit



Pendant très longtemps, quelqu'un qui voulait aller vivre dans un monastère abandonnait tout au moment où il ressentait cet appel. Mais les higoumènes (mot grec pour désigner le supérieur d'un monastère) se sont aperçus, avec le temps, qu'une personne qui entre dans un monastère n'y reste pas forcément. Et lorsqu'il sort, il regrette parfois de n'avoir pas terminé son cycle d'études. De plus, l’Église a davantage besoin de personnes instruites que d'ignorants. C'est pour cela que Saint Kosmas, dont nous parlions dans le message précédent, a dit : Détruisez les églises et construisez des écoles. Aujourd'hui, presque tous les higoumènes demandent donc aux postulants de terminer d'abord leur cycle d'études.

C'est la même chose pour le clergé. C'est même renforcé puisque le prêtre doit transmettre à sa paroisse et aux yeux du monde le message de l’Évangile, et porter l'image de l’Église. Un prêtre doit être cultivé, mais pas seulement. Il doit être psychologue, savoir chanter, connaître la complexité du déroulement des offices, être éloquent, ouvert d'esprit, mais avoir également les qualités humaines qui sont au cœur du message du Christ.

Le père Athanase est quelqu'un d'instruit. Il est entré dans une école qui formait les prêtres à l'âge de 14 ans. Il en est ressorti 10 ans plus tard, après avoir étudié le chant byzantin, les Pères, la psychologie, le typikon (ordonnance des offices), l'histoire...

Mais à quoi sert la connaissance, si le Christ a dit à Marthe, à propos de sa sœur Marie, qu'elle avait choisi la meilleure part à rester à ses pieds, et que cette part ne lui serait pas enlevée (Lc 10, 38-42) ? La connaissance est intimement liée à ce qu'est l'homme. Elle se confond toujours avec la vérité que le Christ nous commande de chercher (Matth. 7, 7). Il convient donc d'avoir d'abord une idée claire de ce qu'est l'homme.

Les spirituels orientaux ont souvent eu une approche différente de l'homme que les occidentaux. En Occident, on considère souvent que l'homme est composé du corps et de l'esprit. L'esprit est fort, mais la chair est faible (Matth. 26, 41). L'esprit donne à l'homme ses idéaux, sa volonté, sa quête de vérité et de connaissance... Le corps est corruptible, malade, faible. Il porte en lui la marque du péché originel. Il y a donc un aspect très négatif qui se dégage du corps, alors que l'esprit serait la partie noble de l'homme. Cette conception conduit les théologiens occidentaux à voir en l'homme un dualisme où deux parties s'affrontent. L'homme s'améliorant lorsque l'esprit prend le dessus sur le corps.

Dans l'orthodoxie, la nature déchue n'implique pas seulement le corps. C'est l'homme dans son ensemble qui en porte la marque, et donc l'esprit également. L'homme dans son entier doit donc se purifier pour retourner vers son état de perfection originel, pour retourner vers Dieu. De plus, les spirituels orientaux considèrent que le cœur de l'homme en est l'un des composants essentiels au même titre que le corps et que l'esprit. De même que le corps a ses besoins (manger, respirer, dormir...), que l'esprit a ses aspirations (soif de savoir, idéaux...), le cœur, siège des affects, a lui aussi ses besoins propres (amour, compassion...). Le cœur porte lui aussi la marque du péché originel. C'est là que naît la colère, la rancœur, le désir de vengeance... 

Lorsque le Christ mentionne que l'esprit est fort, mais la chair est faible, il ne s'agit pas d'une vision limitative de ce qu'est l'homme. Le Christ parle constamment de l'importance du cœur et il est certainement Celui qui en parle le plus dans toutes les Écritures. Il en est fait mention environ 45 fois dans les Évangiles. Au point que c'est dans le cœur que les Pères de l’Église ont situé le siège de l'âme humaine.

Dans l'orthodoxie, il n'y a pas l'esprit qui serait supérieur au corps. Il y a un tout, créé parfait, qui porte en lui la marque de l'éloignement de Dieu. L'âme étant le principe vivifiant qui unit tout. Dieu s'est incarné dans un corps, il a passé tout son ministère à pardonner les péchés, mais aussi à guérir les corps. Il est ressuscité dans son corps (Jn 20, 27), a ressuscité Lazare comme prémices de ce qu'il prépare aux hommes (Jn 11, 43-44). C'est le corps du prophète Élie qui a été emporté aux cieux sur un char de feu (2 Rois 2, 11), et le corps de la Mère de Dieu que le Christ est venu chercher. Dans le Pistevo (symbole de foi), l’Église affirme qu'elle attend la résurrection des morts, et pour elle la résurrection ne se fait pas sans le corps.

La connaissance que l'homme doit acquérir, c'est donc cette plénitude qui unifie en lui les parties qui le composent ; c'est réussir à ce que le corps, l'esprit et le cœur tendent vers le même but. Saint Grégoire Palamas (1296-1359), qui a défendu les saints hésychastes (moines qui se retiraient seuls pour se consacrer à la prière), considérait que le but de la prière était de faire descendre l'intellect dans le cœur pour qu'il soit transfiguré. Car le cœur, qui connaît l'amour, est celui qui nous ouvre les portes de la connaissance de Dieu suivant cette parole de saint Jean : Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu [...] car Dieu est amour (1 Jn 4, 7-8).

Pour revenir à Marthe et Marie dont nous avons parlé plus haut, la part qui ne serait pas enlevée à Marie est donc la connaissance qui naît de l'amour. Ce qui a manqué à Marthe à ce moment-là était l'amour, et c'est ce manque d'amour qui l'a rendue jalouse de sa sœur. 

Un diplôme de théologie pour exercer le ministère du prêtre est certes important, mais il n'est que la marque d'un esprit bien rempli. Le prêtre apporte aux autres bien plus que quelques notions intellectuelles. Il porte cette connaissance qui unifie tout en l'homme et qui lui permet de se purifier pour goûter la présence divine. C'est un principe immuable de ne pouvoir transmettre que ce que l'on a soi-même acquis.

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