de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

mardi 28 février 2012

26- Étienne Tête



L'une des questions qui se posait à moi, lorsque le père Nicolas m'a proposé de devenir prêtre, était de savoir si ma future hiérarchie serait un soutien ou un fardeau. L'exemple que je connaissais du soutien du père Evangelos, prêtre de Pont-de-Chéruy pendant de longues années, par sa hiérarchie, n'était pas flatteur.
 
Lorsque le père Evangelos est arrivé en France, il a d'abord été proche de monseigneur Vlassios, l'évêque de Lyon. Monseigneur Vlassios l'a poussé à devenir prêtre, ce qui, canoniquement, n'était pas possible. Le père Evangelos n'avait que deux doigts en forme de pince à une main et les canons de l’Église disent que l'on ne doit pas avoir de défauts physiques pour être ordonné prêtre.
 
Cette pratique est une interprétation de l'Ancien Testament. Lorsque les textes (Exode, Lévitique, Nombres, Ézéchiel) parlent d'offrir un sacrifice à Dieu, ils évoquent de prendre un agneau d'un an, sans défaut. Cette image de l'agneau sans défaut offert pour les péchés du peuple est constamment associée, dans le Nouveau Testament, au sacrifice du Christ. Le prêtre, qui rend présent le sacrifice du Christ au travers de la liturgie, est donc lui aussi " choisi sans défaut ".
 
Dans l'orthodoxie, les règles de l’Église sont destinées à conduire l'homme vers Dieu. Mais les hommes étant infinis par leurs variétés, les règles s'avèrent parfois inadaptées. Il se pratique donc ce que l'on appelle l'économie : le père spirituel (un confesseur et guide) que l'on choisit pour sa sagesse et sa vie vertueuse, adapte les règles à sa discrétion pour le bien de celui qui vient le voir. Cette tradition ancestrale vient du Christ qui a dit : Le Sabbat est fait pour l'homme, et non l'homme pour le Sabbat (Mc 2, 27).
 
Cette grande latitude prise avec les règles se ressent énormément dans la vie de tous les jours, en Grèce. C'est l'une des marques qui oppose les Allemands et les Grecs, les deux n'ayant pas la même approche du respect de la règle et du goût de la liberté qui en découle. Même le pape, très proche des intégristes et très proche de l'Opus Dei, trouve étouffante l'organisation des catholiques allemands. Dans son discours devant le ZDK, Benoit XVI dit qu'il y a excédent de structures par rapport à l'Esprit et il estime que cette organisation empêche l'Esprit-Saint d'agir tant elle est étouffante. Je profite d'ailleurs de l'occasion pour faire remarquer que je ne vois pas comment les Grecs pourraient accepter de se voir imposer une rigueur allemande que même un pape allemand intégriste n'arrive plus à supporter.
 
Monseigneur Vlassios est donc intervenu pour que les règles soient adaptées et le père Evangelos a pu être ordonné. A la différence du prêtre de Lyon, qui est un instituteur payé par l’État Grec, le père Evangelos devait subvenir à ses besoins par lui-même. Il a donc cherché un travail. A ce moment-là, l'Europe n'avait pas les mêmes règles qu'aujourd'hui. Le père Evangelos a voulu créer une petite imprimerie, mais la loi ne le lui permettait pas. C'est l'un de ses amis, qui fréquentait le même groupe d'étudiants que lui, qui a donc prêté son nom pour la société qu'il voulait fonder.
 
Cet ami est allé plus loin, car il a prêté beaucoup d'argent au père Evangelos. L'argent était investi dans cette entreprise, mais il était convenu que le père Evangelos en rachète les parts lorsqu'il le pourrait et que la loi le permettrait. Le père Evangelos a vécu simplement. Son entreprise lui a apporté un revenu régulier, mais elle ne lui a jamais permis de rembourser sa dette.
 
Petit à petit, l'entreprise s'est retrouvée en difficulté, puis en faillite. Les règles de droit sont claires : l'entreprise était restée au nom de cet ami et c'est donc lui qui s'est retrouvé devant le tribunal pour répondre de la faillite. Non seulement il avait perdu son argent, mais il était poursuivi pour escroquerie aux Assedic. Après une condamnation devenue définitive, le Préfet a pris un arrêté pour lui retirer ses mandats électoraux. Il fût gracié par François Mitterrand, ce qui lui permit de récupérer ses mandats, mais a néanmoins introduit un procès en révision.
 
Cet étudiant, grâce à qui le père Evangelos a pu exercer si longtemps son sacerdoce, est Étienne Tête, aujourd'hui conseiller régional Rhône-Alpes et conseiller municipal à la Ville de Lyon.
 
Un jour Étienne Tête a eu la possibilité de récupérer au moins une partie de son argent. Il suffisait qu'il dise combien le père Evangelos lui devait. Il m'a alors envoyé un mail pour me dire que le père Evangelos n'avait aucune dette envers lui. Qu'est-ce que je pouvais répondre ? Je savais simplement que j'avais là la marque d'une grande sagesse. Au-delà des difficultés de la vie qui avaient fini par les éloigner, Étienne Tête avait gardé la grandeur d'âme qui l'avait conduit à aider le père Evangelos ; la perte de son argent n'avait pas étouffé ce lien qui les avait unis.
 
Nous voyons donc que François Mitterrand, Président de la République, est intervenu pour réparer une partie des problèmes de gestion du père Evangelos. La Métropole grecque, elle, s'est toujours désintéressée de cette question. Elle voulait bien prendre de l'argent de la paroisse de Pont de Chéruy, s'il y en avait, mais certainement pas en sortir pour aider leur prêtre. Même si ce n'était pas leur dette d'un point de vue juridique, c'était néanmoins une dette d'honneur. Saint Paul l'évoque quand il dit que les membres doivent avoir également soin les uns des autres, et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui (1 Cor. 12, 25-26).

Nous avons offert une médaille à B. pour les services qu'il nous rend régulièrement. Nous avons offert un calendrier à des amis qui ont fait quelques réparations dans la salle paroissiale et nous les avons  cités  en  exemple.  Mais  qu'avons-nous  fait pour Étienne Tête ? Est-ce que l'on doit remercier ceux qui nous aident uniquement lorsque cela ne risque pas de générer des conséquences ? Pourquoi dire des premiers qu'ils sont de bons chrétiens et faire avec le second comme si nous ne le connaissions pas ? L'orthodoxie n'est pas un parti politique qui s'occupe d'affairisme au gré de ses intérêts financiers. Elle est l’Église voulue par le Christ pour conduire l'homme vers la vérité. Et la vérité est que personne n'a aidé la communauté grecque qui s'installait en France plus qu’Étienne Tête.
 
Lorsque la question de la prêtrise s'est posée pour moi, ce point-là a été fortement rebutant. Comment est-ce que j'allais me sentir avec une hiérarchie qui me dirait " bravo " quand j'allais les valoriser, et " démerde-toi " si j'avais un problème ?
 
Nous verrons dans le prochain message combien cette attitude est en opposition avec ce qui se pratique dans d'autres métropoles.

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